Luc Rémont incarne aujourd’hui une figure centrale du paysage énergétique français en tant que PDG d’EDF depuis novembre 2022. Ce polytechnicien de 55 ans a pris les rênes du premier électricien français à un moment critique, marqué par une crise de production nucléaire sans précédent et des enjeux de souveraineté énergétique majeurs. Sa nomination intervient dans un contexte de renationalisation totale d’EDF, l’État français récupérant 100% du capital pour un montant de 9,7 milliards d’euros. Avec un parcours atypique mêlant administration publique, finance et industrie, Luc Rémont doit relever le défi titanesque de redresser l’entreprise tout en pilotant la relance du programme nucléaire français. Son leadership s’exerce dans un environnement complexe où se mêlent impératifs techniques, contraintes financières et pressions politiques.
Parcours professionnel et formation académique de luc rémont
Formation initiale à l’école polytechnique et spécialisation énergétique
Né en 1969, Luc Rémont suit la voie d’excellence française en intégrant l’École Polytechnique, cette institution prestigieuse qui forme traditionnellement les hauts cadres de l’État et de l’industrie. Cette formation d’ingénieur lui confère une approche méthodique et rigoureuse, particulièrement adaptée aux défis techniques complexes du secteur énergétique. Son parcours polytechnicien le destine naturellement vers des responsabilités de premier plan dans l’écosystème français de l’énergie.
Dès 1993, il entame sa carrière professionnelle à la Délégation générale pour l’armement (DGA), où il acquiert une expertise technique pointue en tant qu’ingénieur. Cette expérience dans la défense forge son sens du service public et sa capacité à gérer des projets industriels stratégiques. D’ailleurs, ce polytechnicien conserve ses liens avec le monde militaire en maintenant son statut de réserviste, témoignage de son attachement aux valeurs de rigueur et de discipline.
Expérience managériale dans les grands groupes industriels français
En 1996, Luc Rémont rejoint le ministère des Finances où il développe une expertise cruciale sur les banques multilatérales de développement et les participations de l’État dans le transport. Cette période à Bercy s’avère déterminante puisqu’il y reste jusqu’en 2007, occupant des fonctions dans les cabinets de différents ministres des Finances. Plus particulièrement, il devient directeur de cabinet adjoint du ministre Thierry Breton, l’accompagnant lors de la privatisation partielle d’EDF en 2005.
Cette expérience au cœur de l’État lui permet de comprendre les rouages complexes des relations entre secteur public et privé. Il acquiert une vision stratégique des enjeux énergétiques nationaux et développe un réseau professionnel étendu qui s’avérera précieux tout au long de sa carrière. Sa connaissance intime des mécanismes de gouvernance des entreprises publiques constitue un atout majeur pour ses futures responsabilités.
Transition vers le secteur de l’énergie nucléaire et renouvelable
Après Bercy, Luc Rémont rejoint Bank of America Merrill Lynch où il exerce comme expert en fusions-acquisitions, suivant notamment le dossier Schneider Electric. Cette période dans la finance internationale enrichit sa compréhension des marchés financiers et des opérations complexes de restructuration industrielle. Il conseille également Alstom lors de la vente controversée de sa branche énergie à General Electric, une opération qui marquera durablement le secteur énergétique français.
En 2014, il franchit le pas en rejoignant directement Schneider Electric, quittant ainsi le monde de la finance pour l’industrie. Cette transition marque un tournant décisif dans son parcours, l’amenant au contact direct des réalités opérationnelles du secteur électrique. Chez Schneider, il gravit rapidement les échelons, passant de directeur France à directeur général des opérations internationales.
Certifications et expertise en gouvernance d’entreprise publique
Durant ses huit années chez Schneider Electric, Luc Rémont développe une expertise reconnue en gestion des équipements électriques et des infrastructures énergétiques. Il pilote notamment l’intégration du géant indien Larsen and Toubro, la plus grosse acquisition jamais réalisée par Schneider dans le sous-continent. Cette opération d’envergure fait de l’Inde la troisième région principale pour les activités de Schneider, à égalité avec la France.
Son approche managériale se distingue par un style de management participatif et respectueux du dialogue social. Selon un représentant CFE-CGC interrogé par l’AFP, il s’agit d’un « bon manager, très apprécié des équipes » qui « a vite compris les complexités de l’entreprise ». Cette capacité d’adaptation et d’écoute constitue un atout précieux pour diriger EDF, entreprise aux traditions syndicales fortes et aux enjeux sociaux sensibles.
Nominations et responsabilités actuelles au sein du groupe EDF
Poste de PDG et gouvernance stratégique
Luc Rémont a été nommé PDG d’EDF par l’Élysée le 29 septembre 2022, prenant officiellement ses fonctions le 22 novembre 2022. Il succède à Jean-Bernard Lévy, qui dirigeait le groupe depuis 2014 et atteignait la limite d’âge. Cette nomination intervient simultanément avec la renationalisation totale d’EDF, l’État français reprenant le contrôle à 100% de l’entreprise pour sécuriser la souveraineté énergétique nationale.
Le Conseil d’administration d’EDF l’avait coopté en qualité d’administrateur le 18 novembre 2022, avant ratification par l’Assemblée générale des actionnaires. Pour le gouvernement, il « coche toutes les cases » pour cette fonction stratégique, combinant expertise technique, connaissance des rouages publics et expérience managériale internationale. Son profil hybride entre secteur public et privé apparaît comme un atout dans le contexte de transformation profonde que traverse EDF.
Supervision des filiales internationales et diversification énergétique
Sous sa direction, EDF poursuit sa stratégie de diversification énergétique à travers ses filiales spécialisées. EDF Renewables continue son développement dans l’éolien et le solaire photovoltaïque, tandis qu’EDF Energy consolide sa position sur le marché britannique malgré les incertitudes post-Brexit. Cette approche multi-énergies permet au groupe de répondre aux objectifs de transition énergétique tout en maintenant sa position dominante dans le nucléaire.
La gestion des filiales internationales représente un défi particulier dans le contexte géopolitique actuel. Luc Rémont doit naviguer entre les impératifs commerciaux d’expansion et les contraintes de souveraineté énergétique nationale. Sa connaissance des marchés internationaux, acquise chez Schneider Electric, lui permet d’appréhender ces enjeux avec pragmatisme et vision stratégique.
Pilotage du programme de construction des EPR de nouvelle génération
L’un des défis majeurs de son mandat concerne le pilotage du programme EPR de nouvelle génération . Emmanuel Macron a annoncé en février 2022 à Belfort la construction de six nouveaux EPR2, avec une option pour huit réacteurs supplémentaires. Cette relance du nucléaire français nécessite des investissements colossaux, estimés à 25 milliards d’euros par an, un niveau « sans commune mesure » dans l’histoire d’EDF selon les propres termes de Luc Rémont.
Le programme doit également intégrer la mise en service de l’EPR de Flamanville, qui accuse plus de dix ans de retard et des surcoûts importants. Cette expérience difficile impose une approche renouvelée pour les futurs projets, privilégiant la standardisation et l’optimisation des processus de construction. L’enjeu consiste à éviter les écueils du passé tout en respectant les calendriers ambitieux fixés par l’exécutif.
Coordination avec l’autorité de sûreté nucléaire et les régulateurs
La relation avec l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) constitue un aspect crucial de la gouvernance d’EDF sous la direction de Luc Rémont. L’ASN joue un rôle déterminant dans l’autorisation de fonctionnement des réacteurs, particulièrement dans le contexte des problèmes de corrosion sous contrainte qui ont affecté une partie du parc nucléaire en 2022. Cette crise a nécessité l’arrêt simultané de nombreux réacteurs pour contrôles et réparations.
La coordination s’étend également à la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) concernant les mécanismes de prix et de concurrence. Luc Rémont plaide activement pour une réforme du mécanisme ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) qu’il juge pénalisant pour EDF. Cette bataille réglementaire illustre la complexité de piloter une entreprise publique dans un marché européen libéralisé.
Stratégies de transformation énergétique sous sa direction
Déploiement du plan hercule et restructuration des activités nucléaires
Le plan Hercule, initialement conçu pour scinder EDF en entités distinctes, a été abandonné au profit de la renationalisation. Néanmoins, Luc Rémont poursuit une logique de restructuration interne visant à optimiser l’organisation du groupe. Cette approche privilégie la création de centres d’excellence spécialisés tout en maintenant l’unité opérationnelle d’EDF, évitant ainsi les risques de démantèlement redoutés par les syndicats.
La restructuration des activités nucléaires vise à améliorer la performance opérationnelle et la sûreté du parc existant. Cela passe par une modernisation des processus de maintenance, l’optimisation des arrêts de tranche et le renforcement de l’expertise technique. L’objectif consiste à prolonger la durée de vie des centrales au-delà de 50 ans, conformément aux orientations présidentielles de relance du nucléaire français.
Développement de l’hydrogène vert via la filiale hynamics
EDF investit massivement dans l’hydrogène vert à travers sa filiale Hynamics, créée en 2019 pour développer cette technologie d’avenir. L’hydrogène produit par électrolyse à partir d’électricité décarbonée représente un vecteur énergétique stratégique pour la transition énergétique, notamment pour décarboner l’industrie lourde et les transports. Sous l’impulsion de Luc Rémont, EDF accélère ses investissements dans cette filière prometteuse.
Cette stratégie s’inscrit dans une logique d’intégration verticale, EDF valorisant sa production d’électricité nucléaire pour produire de l’hydrogène vert. Cette approche permet de créer de nouveaux débouchés pour l’électricité nucléaire tout en contribuant aux objectifs de décarbonation de l’économie . Les premiers projets industriels commencent à voir le jour, notamment dans la sidérurgie et la chimie.
Partenariats stratégiques avec les acteurs européens de l’énergie
Luc Rémont développe une stratégie de partenariats avec les grands acteurs européens de l’énergie pour renforcer la position d’EDF sur les marchés en croissance. Ces alliances concernent particulièrement l’éolien offshore, où les investissements nécessaires dépassent les capacités d’un seul opérateur. La mutualisation des risques et des expertises devient indispensable pour réussir dans ces segments technologiquement complexes.
Ces partenariats s’étendent également aux technologies émergentes comme le stockage d’énergie et les réseaux intelligents. EDF cherche à positionner ses innovations sur l’ensemble de la chaîne de valeur énergétique, de la production au consommateur final. Cette approche systémique permet d’optimiser l’intégration des énergies renouvelables intermittentes dans le système électrique français.
Digitalisation des réseaux intelligents et intégration technologique
La digitalisation constitue un axe majeur de transformation sous la direction de Luc Rémont. L’intégration du compteur communicant Linky, déployé chez 35 millions de foyers français, ouvre de nouvelles perspectives de gestion intelligente de l’énergie . Ces technologies permettent d’optimiser la consommation en temps réel et de développer de nouveaux services énergétiques personnalisés.
Cette transformation numérique s’accompagne d’investissements massifs dans l’intelligence artificielle et l’analyse de données. EDF développe des outils prédictifs pour optimiser la maintenance de ses installations et anticiper les besoins énergétiques. L’objectif consiste à créer un écosystème énergétique intelligent, capable de s’adapter en temps réel aux variations de production et de consommation.
Positionnement dans les enjeux réglementaires et financiers actuels
Luc Rémont fait face à des défis financiers considérables avec une dette d’EDF qui atteint 54 milliards d’euros fin 2022. Cette situation résulte de la combinaison entre la baisse de production nucléaire liée aux problèmes de corrosion et l’obligation imposée par l’État de vendre davantage d’électricité bon marché aux concurrents via le mécanisme ARENH. Le PDG mène une bataille acharnée pour obtenir une réforme de ce dispositif qu’il considère comme structurellement défavorable à EDF.
La question du financement des futurs EPR représente un autre enjeu majeur. Avec des investissements prévus de 25 milliards d’euros annuels, EDF doit trouver un équilibre entre ambitions industrielles et contraintes budgétaires. Luc Rémont plaide pour une reconnaissance de la spécificité du nucléaire dans les mécanismes de financement européens, arguant que cette technologie contribue directement aux objectifs climatiques de l’Union européenne.
Sur le plan réglementaire, il défend une réforme « profonde » des règles du marché européen de l
‘électricité, jugeant « indispensable » le découplage des prix du gaz et de l’électricité. Cette position reflète sa volonté de défendre les intérêts industriels français face aux contraintes du marché unique européen. Il argumente que le système actuel pénalise la production nucléaire française, qui ne devrait pas être soumise aux mêmes variations tarifaires que les énergies fossiles.
La bataille juridique autour de l’ARENH illustre parfaitement les contradictions de l’État actionnaire. D’un côté, le gouvernement souhaite maintenir des prix compétitifs pour protéger les consommateurs et l’industrie française. De l’autre, il doit permettre à EDF de générer suffisamment de revenus pour financer ses investissements colossaux. Luc Rémont navigue avec habileté dans ces contradictions, défendant une approche pragmatique qui concilie impératifs économiques et objectifs politiques.
Relations institutionnelles avec l’état français et l’union européenne
La relation entre Luc Rémont et l’État français se caractérise par un équilibre délicat entre autonomie managériale et contrôle politique. En tant que PDG d’une entreprise renationalisée à 100%, il doit composer avec les directives gouvernementales tout en préservant l’efficacité opérationnelle d’EDF. Cette tension s’est particulièrement manifestée lors des débats sur la tarification européenne de l’électricité, où il a publiquement critiqué certaines orientations de l’exécutif.
Au niveau européen, Luc Rémont développe une diplomatie énergétique active pour défendre la spécificité du modèle français. Il plaide notamment pour une reconnaissance du nucléaire comme énergie de transition décarbonée dans la taxonomie européenne des investissements verts. Cette position s’avère cruciale pour sécuriser les financements nécessaires au programme EPR2 et maintenir l’avantage concurrentiel de la France dans le secteur énergétique européen.
Sa stratégie consiste à transformer EDF en champion européen de la transition énergétique, capable de rivaliser avec les géants allemands et nordiques. Pour cela, il mise sur l’expertise nucléaire française tout en développant les énergies renouvelables et l’hydrogène vert. Cette approche multi-énergies permet de répondre aux attentes de Bruxelles tout en préservant l’identité nucléaire du groupe.
Les relations avec la Commission européenne demeurent complexes, notamment sur les questions d’aides d’État et de concurrence. Luc Rémont doit justifier les investissements publics massifs dans le nucléaire tout en respectant les règles de concurrence du marché unique. Il développe une argumentation basée sur l’intérêt général climatique et la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’Europe.
Impact sur la politique énergétique française et les objectifs de neutralité carbone 2050
Sous la direction de Luc Rémont, EDF redevient le pilier central de la stratégie énergétique française vers la neutralité carbone. Le mix énergétique décarboné qu’il développe combine nucléaire historique, nouveaux EPR et énergies renouvelables dans une approche systémique. Cette stratégie vise à porter la part du nucléaire à 50% de la production électrique d’ici 2035, conformément aux objectifs de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE).
L’impact de sa gouvernance dépasse largement les frontières d’EDF pour influencer l’ensemble de la filière énergétique française. Ses décisions en matière d’investissements nucléaires conditionnent le maintien de l’expertise française dans ce domaine et la pérennité de l’écosystème industriel associé. Plus de 200 000 emplois directs et indirects dépendent des orientations stratégiques qu’il impulse au sein du groupe.
La dimension européenne de son action contribue également aux objectifs climatiques continentaux. En défendant le nucléaire français comme solution de décarbonation, Luc Rémont participe au débat sur l’avenir énergétique européen. Sa vision d’une Europe de l’énergie s’appuyant sur les complémentarités nationales influence les discussions sur l’intégration des marchés et les mécanismes de solidarité énergétique.
L’enjeu de l’indépendance énergétique française constitue un autre volet majeur de son action. Dans un contexte géopolitique tendu, marqué par la guerre en Ukraine et les tensions avec la Russie, EDF sous sa direction doit contribuer à réduire la dépendance énergétique européenne. Cette mission stratégique dépasse largement les considérations commerciales pour s’inscrire dans une logique de souveraineté nationale et européenne.
Face aux défis climatiques, Luc Rémont positionne EDF comme un acteur majeur de la transition énergétique mondiale. Ses initiatives dans l’hydrogène vert, le stockage d’énergie et les réseaux intelligents contribuent à l’émergence de solutions technologiques innovantes. Cette approche prospective vise à maintenir la France en pointe dans les technologies énergétiques du futur, préparant l’après-2050 et les défis énergétiques des générations futures.
