Air liquide : que sait-on des récents licenciements ?

Le leader mondial des gaz industriels Air Liquide traverse une période de restructuration majeure qui suscite de vives tensions sociales. Les récents licenciements annoncés par le groupe français s’inscrivent dans un contexte économique complexe, marqué par l’inflation des coûts énergétiques et une concurrence internationale accrue. Les syndicats dénoncent une « casse sociale organisée » tandis que la direction justifie ces mesures par la nécessité de maintenir sa compétitivité sur des marchés en mutation rapide.

Contexte économique et stratégique des restructurations chez air liquide en 2024

La situation actuelle d’Air Liquide s’explique par plusieurs facteurs économiques convergents qui pèsent sur les performances du groupe. Malgré des résultats financiers solides, l’entreprise fait face à des défis structurels qui l’obligent à repenser son organisation opérationnelle. Cette dynamique reflète les mutations profondes du secteur des gaz industriels, où l’innovation technologique et l’efficacité opérationnelle déterminent désormais les positions concurrentielles.

Impact de l’inflation des coûts énergétiques sur les marges opérationnelles

L’explosion des prix de l’énergie depuis 2022 a profondément bouleversé l’économie des activités d’Air Liquide. La production de gaz industriels nécessite d’importants besoins énergétiques, notamment pour les unités de séparation des gaz de l’air (ASU). Les coûts de l’électricité représentent environ 30% des charges opérationnelles du groupe, rendant certains sites moins rentables qu’auparavant. Cette situation contraint la direction à optimiser son empreinte industrielle en privilégiant les sites les plus efficaces énergétiquement.

Repositionnement concurrentiel face à linde et air products & chemicals

La concurrence s’intensifie dans le secteur des gaz industriels, notamment avec Linde qui a renforcé sa position après la fusion Linde-Praxair en 2018. Air Products & Chemicals développe également une stratégie agressive sur les marchés émergents et les technologies vertes. Face à cette pression concurrentielle, Air Liquide doit réduire ses coûts de structure pour maintenir ses marges. Les licenciements s’inscrivent dans cette logique d’optimisation des ressources humaines et de rationalisation des effectifs.

Digitalisation des processus industriels et automatisation des sites de production

La transformation digitale accélère l’obsolescence de certains métiers traditionnels chez Air Liquide. L’automatisation des processus de production et l’intelligence artificielle permettent de réduire les besoins en main-d’œuvre sur les sites industriels. Les technologies de maintenance prédictive diminuent également les effectifs nécessaires dans les équipes techniques. Cette évolution technologique explique en partie les suppressions d’emplois dans les fonctions opérationnelles, particulièrement dans la maintenance et la production.

Transition énergétique et investissements dans l’hydrogène vert

Le virage vers l’hydrogène vert impose à Air Liquide de réallouer ses investissements et ses ressources humaines. Les projets d’électrolyse et de production d’hydrogène décarboné nécessitent des compétences nouvelles, différentes de celles des activités traditionnelles. Cette transition crée un décalage entre les profils recherchés et les compétences existantes, justifiant selon la direction certaines suppressions d’emplois dans les métiers en déclin. L’entreprise privilégie les investissements dans les technologies d’avenir au détriment des activités matures.

Analyse détaillée des suppressions d’emplois par division opérationnelle

Les licenciements chez Air Liquide ne touchent pas uniformément toutes les divisions du groupe. Chaque branche d’activité fait l’objet d’une analyse spécifique en fonction de ses perspectives de croissance et de sa rentabilité. Cette approche sélective révèle la stratégie de recentrage du groupe sur ses activités les plus porteuses, au détriment des segments moins prometteurs ou saturés.

Restructuration de la division gaz industriels et fermetures d’unités ASU

La division Gaz Industriels, cœur historique d’Air Liquide, subit des restructurations importantes avec la fermeture programmée de plusieurs unités de séparation des gaz de l’air. Ces fermetures concernent principalement les sites européens où les coûts de production sont devenus prohibitifs. Les unités les plus anciennes, moins efficaces énergétiquement, sont progressivement démantelées au profit d’installations plus modernes implantées dans des zones à coûts compétitifs. Cette rationalisation industrielle entraîne la suppression de plusieurs centaines d’emplois techniques et de maintenance.

Réorganisation de la branche ingénierie & construction et projets GNL

La branche Ingénierie & Construction traverse une période difficile avec la baisse des commandes de grandes unités industrielles. Les projets de gaz naturel liquéfié (GNL) subissent des reports en raison de l’instabilité géopolitique et des nouvelles réglementations environnementales. Cette situation contraint Air Liquide à réduire ses effectifs d’ingénieurs et de techniciens spécialisés dans la conception d’installations cryogéniques. La réorganisation vise à adapter la taille des équipes aux carnets de commandes réduits, tout en préservant les compétences stratégiques.

Optimisation des effectifs healthcare avec focus sur les gaz médicaux

Paradoxalement, la division Healthcare connaît simultanément des suppressions d’emplois dans certains segments et des créations dans d’autres. Les activités de gaz médicaux traditionnels voient leurs effectifs réduits en raison de l’automatisation des processus de production et de distribution. En revanche, les nouvelles technologies médicales et la télémédecine génèrent des besoins en compétences spécialisées. Cette transformation entraîne des inadéquations entre les profils existants et les besoins futurs, justifiant selon la direction les plans de licenciement accompagnés de programmes de formation.

La modernisation ne doit pas se faire au détriment de l’emploi, mais elle impose une adaptation des compétences aux nouvelles réalités technologiques du secteur.

Consolidation des centres de distribution et logistique européens

La rationalisation du réseau logistique européen d’Air Liquide entraîne la fermeture de plusieurs centres de distribution régionaux. Cette consolidation vise à optimiser les coûts de transport et à améliorer l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement. Les technologies de géolocalisation et d’optimisation des tournées permettent de servir les clients avec moins de sites de stockage. Cette évolution impacte directement les emplois de conducteurs, magasiniers et responsables logistiques dans les régions concernées par les fermetures.

Procédures juridiques et négociations avec les instances représentatives du personnel

Les licenciements chez Air Liquide s’accompagnent de procédures juridiques complexes impliquant les comités sociaux et économiques (CSE) et les organisations syndicales. La CGT dénonce une « répression antisyndicale » et conteste la légalité de certaines procédures engagées par la direction. Les négociations portent sur les conditions d’accompagnement des salariés concernés, les critères de sélection et les mesures alternatives aux licenciements.

Les représentants du personnel exigent une transparence totale sur les critères de choix des sites et des emplois supprimés. Ils questionnent notamment la cohérence entre les suppressions d’emplois et les bénéfices record du groupe. Les syndicats demandent l’accès aux études d’impact social et environnemental pour évaluer la pertinence économique des restructurations annoncées.

La direction d’Air Liquide justifie ses choix par la nécessité d’adapter l’organisation aux évolutions du marché. Elle met en avant les plans de formation et de reconversion proposés aux salariés concernés. L’entreprise affirme privilégier les solutions de mobilité interne et de reclassement pour limiter les départs contraints. Cependant, les syndicats dénoncent ces dispositifs comme insuffisants au regard de l’ampleur des restructurations.

Comparaison avec les plans de restructuration des concurrents chimistes européens

Air Liquide n’est pas isolé dans sa démarche de restructuration. L’ensemble du secteur chimique européen traverse une période de mutations profondes, contraignant les entreprises à repenser leurs modèles économiques. Cette dynamique sectorielle relativise en partie les choix stratégiques du groupe français, tout en révélant les enjeux communs auxquels sont confrontées les industries énergo-intensives.

BASF, leader mondial de la chimie, a annoncé la suppression de 2 600 emplois en Europe d’ici 2026, principalement en Allemagne. Ces restructurations visent à réduire les coûts de 500 millions d’euros face à la concurrence asiatique et américaine. De son côté, Covestro prévoit la fermeture de sites de production en Europe pour recentrer ses activités sur l’Asie. Cette tendance illustre la désindustrialisation progressive de l’Europe dans les secteurs à forte intensité énergétique.

Linde, principal concurrent d’Air Liquide, a également engagé des restructurations en Europe tout en développant ses activités en Amérique du Nord et en Asie-Pacifique. Cette stratégie géographique différenciée permet au groupe allemand de maintenir sa croissance malgré les difficultés européennes. Air Products & Chemicals privilégie quant à lui les investissements dans l’hydrogène et les technologies vertes, repositionnant ses ressources vers les activités d’avenir.

Le secteur des gaz industriels traverse une phase de consolidation mondiale où seuls les acteurs les plus agiles et les plus innovants pourront maintenir leur leadership.

La comparaison avec les concurrents révèle que les restructurations d’Air Liquide s’inscrivent dans une tendance sectorielle plus large. Cependant, l’intensité des suppressions d’emplois et les modalités d’accompagnement varient significativement d’une entreprise à l’autre. Les entreprises allemandes bénéficient généralement de dispositifs sociaux plus favorables, permettant des transitions moins brutales pour les salariés concernés.

Répercussions sur la stratégie ADVANCE d’air liquide et objectifs 2025

La stratégie ADVANCE d’Air Liquide, lancée pour la période 2025-2027, vise à accélérer la croissance dans les marchés porteurs tout en améliorant l’efficacité opérationnelle. Les restructurations actuelles s’inscrivent dans cette feuille de route ambitieuse qui privilégie l’innovation et la transition énergétique. Cette approche stratégique explique en partie les choix difficiles en matière d’emploi, le groupe cherchant à libérer des ressources pour financer ses investissements d’avenir.

L’objectif de marge opérationnelle de 17% à l’horizon 2025 nécessite une optimisation continue des coûts de structure. Les suppressions d’emplois contribuent à cet objectif en réduisant les charges de personnel dans les activités matures. Parallèlement, Air Liquide recrute massivement dans les métiers liés à l’hydrogène, à la digitalisation et aux nouvelles technologies médicales. Cette transformation des ressources humaines reflète la mutation du modèle économique du groupe.

Les investissements prévus dans le plan ADVANCE, notamment dans l’hydrogène vert et les technologies de captage du carbone, créeront de nouveaux emplois à moyen terme. Cependant, ces créations ne compenseront pas immédiatement les suppressions dans les activités traditionnelles. Cette asymétrie temporelle pose des défis sociaux importants pour les régions industrielles dépendantes des sites d’Air Liquide en restructuration.

La stratégie de croissance externe du groupe, avec l’acquisition d’entreprises spécialisées dans les technologies vertes, modifie également la répartition géographique des emplois. Les nouveaux investissements privilégient les écosystèmes d’innovation, souvent situés dans des métropoles, au détriment des sites industriels traditionnels en zone rurale. Cette évolution géographique accentue les inégalités territoriales et complique les politiques de reclassement professionnel .

Mesures d’accompagnement social et dispositifs de reclassement professionnel

Face aux critiques syndicales et à la pression sociale, Air Liquide a mis en place plusieurs dispositifs d’accompagnement pour les salariés concernés par les restructurations. Ces mesures visent à faciliter les transitions professionnelles et à préserver l’employabilité des personnes touchées par les suppressions d’emplois. L’efficacité de ces dispositifs reste cependant débattue entre la direction et les représentants du personnel.

Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prévoit des formations de reconversion vers les métiers d’avenir du groupe, notamment dans l’hydrogène et la digitalisation. Air Liquide propose également des dispositifs de mobilité géographique avec prise en charge des frais de déménagement. Pour les salariés proches de la retraite, des mesures d’accompagnement vers la cessation d’activité sont négociées au cas par cas. Ces solutions individualisées permettent d’adapter les réponses aux situations personnelles de chaque salarié concerné.

Les syndicats critiquent néanmoins l’insuffisance de ces mesures au regard de l’ampleur des restructurations. Ils dénoncent particulièrement les dispositifs de mobilité interne forcée qui créent une concurrence entre salariés pour les postes restants. La CGT exige des garanties plus fermes sur le maintien de l’emploi et des investissements massifs dans la formation. Les négociations se poursuivent pour améliorer les conditions d’accompagnement et limiter les départs contraints.

L’efficacité des mesures de reclassement dépendra largement de la capacité du groupe à créer de nouveaux emplois dans ses activités en développement. Les investissements dans l’hydrogène vert et les technologies médicales avancées offrent des perspectives, mais nécessitent des compétences spécifiques. La réussite de la transformation sociale d’Air Liquide repose donc sur l’adéquation entre les besoins futurs et les capacités d’adaptation des salariés actuels. Cette équation complexe déterminera l’acceptabilité sociale des restructurations en cours et l’avenir du dialogue social dans le groupe.

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